Marie-Angélique, l’enfant-loup
L’histoire de l’enfant sauvage trouvée en 1731 à Sarry pour les uns, à Songy pour les autres, a fait couler beaucoup d’encre. Voltaire, Rousseau, Diderot, la Condamine et d’autres se sont intéressés à son cas. Le Petit Catalaunien Illustré a déjà donné la version de Burette de Verrières datant de 17881. Voici celle de Serge Aroles, parue en 2004, qui se base sur des documents d’archives.
Un jour, dans le Haut-Mississipi (Wisconsin), vers 1712, une indienne de la tribu des Renards voit le jour. Mais en juin 1712, sa nation est battue et massacrée par les Français qui n’épargnent ni les femmes, ni les enfants. L’orpheline est élevée par les siens. Elle connaît les famines des hivers blancs, les guerres entre tribus alliées aux Français ou aux Anglais. Battu une nouvelle fois par les Français en 1717 le chef des Renards, par une simple signature sur un parchemin donne sa terre à la " très Grande Montagne ", le roi de France, ainsi surnommé par les Indiens. Toutes ces batailles ont décimé les hommes et seuls restent les femmes et les enfants. Les fillettes en surnombre sont offertes à d’autres nations autochtones et aux officiers français. La petite indienne dont on parle, est emmenée par le beau-frère de Mme de Courtemanche au Labrador (Canada) en 1718.
Cette dame est la veuve du commandant de la côte du Labrador qui a péri l’année d’avant, peu après une attaque des " Esquimaux ". C’est son fils qui devient commandant. Il apprend la langue des " esquimaux " afin de pouvoir communiquer avec eux et les soumettre. Mme de Courtemanche a déjà deux petites " esquimaudes " qu’elle considère comme ses enfants. Elle change les habits de peau de la petite fille, lui enseigne le français et la nomme Marie-Angélique. Elle a 6 ans. Elle apprend la couture et la lecture. Un chapelain, le père Lair, catéchise les indiens en essayant de faire des analogies entres les déités indiennes et la trinité chrétienne. Mais les esquimaux attaquent le fort en septembre 1719. Marie-Angélique aura prévenu le commandant de l’insoumission des esquimaux dont elle a eu connaissance par une des esclaves-otages esquimaudes qui vit dans la même famille. Elle échappe à l’incendie du fort en 1720.
A 8 ans, le 11 septembre 1720, elle quitte la " terre des esquimaux " avec sa maîtresse et ses trois filles. Elles doivent revenir au printemps suivant. Elles embarquent sur " l’Aventurier ", chargé de morue et " armé en guerre ". Après des tempêtes et de grandes alarmes dues aux bateaux pirates, Marie-Angélique aborde l’Europe par le Portugal. Puis c’est l’Espagne et l’Italie. Enfin, Marseille, le 20 octobre 1720 où sévit la peste qui tuera la moitié de la ville. Le navire est immobilisé et aucun passager ne peut le quitter. Lorsque cela sera permis, l’Aventurier s’en ira sans Marie-Angélique car Mme de Courtemanche fortement endettée ne peut plus subvenir à ses besoins. Marie-Angélique travaille pour un homme nommé Durand ou Ollive : elle tisse la soie. Elle y rencontre une fille noire arrivée de " Palestine-Phénicie ", venue de l’empire Ottoman, qui parle une langue que Marie-Angélique ne comprend pas. Elle devient sa compagne d’infortune.
Toutes deux s’enfuient dans cette Provence encore inquiète de la peste. Marie-Angélique a 9 ans en décembre 1721. Elles fuient les incendies de la forêt provençale, elles se nourrissent de plantes et de fruits, de racines, d’insectes et de petits animaux, de charognes, de gibier ; pas de renard car Marie-Angélique racontera plus tard que sa viande a un goût répugnant. Elles ont dû, pour remplir leur estomac, également manger du bois pourri, de la terre, du miel, de la sève. L’hiver elles résistent au froid en s’enterrant. Elles chassent à l’aide d’un gourdin et d’un genre de lance trouvée on ne sait où et leurs griffes longues et dures leur servent à enlever la peau de leurs victimes. Ces griffes leur servent également à grimper aux arbres pour fuir les loups et les ours.
Marie-Angélique passe 10 ans dans la forêt. Elle se déplace avec sa compagne, veillant l’une sur l’autre en cas de blessure ou de maladie (elles ont pu avoir des affections dues aux eaux de baignade partagée avec les rongeurs (leptospirose), au fait de manger trop de lièvre (tularémie) en plus des parasites, de la malaria, la rage, le risque d’occlusion intestinale, des fracture de membres, le tétanos, etc.). Elles ont dû trouver des plantes qui apaisent les maux de ventre, des gommes, exudats d’arbres, qui adoucissent les plaies et les écorces qui arrêtent les hémorragies. Elles ont pu parcourir 20 000 km à raison d’une lieue et demie quotidienne. Elles fuient les lieux habités. Habillées de peaux de bêtes nouées par les pattes elles affrontent la neige et les tempêtes. Leur corps est couvert de boue qui les protège des insectes, des orties et du gel. Elles passent les premières années ensemble mais sans langue commune, elles communiquent entre elles par des cris, des signes vocaux. Le ciel et les étoiles sont leur plafond. Elles ont pu voir deux éclipses de soleil et quatre de lune pendant cette période. On peut penser qu’elles se trouvent en Lorraine lors du tremblement de terre qui a lieu le 3 août 1728.
Début septembre 1731, à Vitry le François, le sieur de Bar tire sur la compagne de Marie-Angélique et la blesse. Le gentilhomme prétendra l’avoir confondu avec du gibier d’eau. Elle a été trouvée morte du côté de Saint-Martin aux Champs. L’entourage de Marie-Angélique inventera l’histoire selon laquelle c’est elle qui l’a tuée au gourdin lors d’une dispute pour un rosaire trouvé et la lui fera croire. Cependant aucun acte d’inhumation n’a été trouvé, à cette date, sur les registres de plus de 150 villages de Champagne et de Lorraine.
On rapporte qu’un " un berger de château aperçoit une créature aux papilles délicates, une mangeuse de grenouilles qu’elle enrobe de feuilles de vigne, et les domestiques de ce même castel surprennent de nuit, près du cimetière de Songy une croqueuse de pommes prenant son repas sur les branches-mères. L’avant-veille déjà, un gros chien mourut d’avoir lancé ses crocs après une troisième fille, une promeneuse parée d’une massue, qui l’attendit avec calme, son arme levée latéralement, et lécho des os brisés de son crâne éteignit celui de son ultime aboi "2. Est-ce Marie-Angélique les trois fois ?
Songy 8 septembre 1731. Marie-Angélique, poursuivie, s’enfuit vers le cimetière où elle grimpe dans un arbre. Sous les yeux des villageois portant des flambeaux, elle saute dans un deuxième puis dans un autre plus élevé. Elle sera assiégée jusqu’au matin. Ils essaient alors de la faire descendre par des ruses à l’aide d’un seau d’eau fraîche : elle y boit à quatre pattes puis remonte vite. Puis une femme portant un bébé dans les bras l’affriande avec une anguille. Elle ne résiste pas et descend. Elle se laisse conduire au château où elle arrache une volaille crue à un cuisinier.
Chez le vicomte d’Epinoy : " L’attention que ce Seigneur a eu pour elle pendant près de deux mois, la souffrant la plus grande partie du jour en son château, la laissant pêcher dans les fossés, et chercher des racines dans ses jardins, a attiré beaucoup de monde chez lui "3. Elle refuse de dormir dans un lit et préfère la terre comme couche, ne mange que de la viande et des végétaux crus. Elle ne supporte pas d’être enfermée et craint le moindre contact avec un homme qu’aussitôt elle frappe ". Elle a dix-neuf ans. Elle loge chez le berger. Elle est surnommée la bête du berger. " Les curés du voisinage… lui ont fait comprendre… qu’il ne falloit point grimper sur les arbres, cela étant indécent à une fille… "3.
La suite dans le N°59 du Petit Catalaunien Illustré 3€. Abonnement : 10€*
en vente à la librairie Guerlin, place de la République 51000 Châlons-en-Champagne
• 13/09/2008 - Belle histoire