Pierre Dac : le roi de l'absurde naît à Shalom
Timide, pudique, ce petit bonhomme d'un maître 63, ne se sentait bien que dans l'absurde. Infatigablement, il a plongé des générations de Français dans la loufoquerie et les a noyées dans sa verve aussi bien dans les bons moments que dans les années difficiles.
"J'ai vu le jour dans la nuit du 15 Août de l'année de ma naissance à Châlons-sur-Marne (36 850 habitants approximativement, à 160 km de Paris exactement), non loin du camp militaire de Mourmelon-le-Grand. Près de là, fut battu Attila, en 451, dans les champs catalauniques, par Aétius, Mérovée et Théodorie réunis, poil au Président des Etats Unis". (Pierre Dac).
André lsaac, alsacien d'origine, est né à "Shalom sur Marne" (Châlons) le 15 Août 1893, à 11h, au 70 rue de la Marne. Trois ans plus tard, sa famille déménage à Paris. Le père, Salomon Isaac, ouvre une boucherie à la Villette. Mais chaque été, le petit André revient à Châlons chez ses grands-parents. D'un tempérament ludique, comme son père, dont l'humour l'enchante, il se fait rapidement remarquer à l'école par ses plaisanteries. Pour avoir supendu un hareng saur sur l'habit de son maître de mathématiques, il est renvoyé du lycée Colbert. Bien que bon élève en français il est si timide qu'il ne peut réciter ses leçons. Sans diplôme et sans avenir, il fait des petits boulots. Mais un soir, entrant dans un cabaret de la rue Pigalle où se produisent des chansonniers, il a la révélation du métier qu'il veut exercer : "combattre par l'humour et la dérision les grands drames de l'existence" (1).
La lère guerre mondiale le retrouve au front. Là, il fait de son mieux pour divertir ses compagnons avec des caricatures, des poèmes et des chansons comiques. Il compose "les cheveux de la victoire", dans laquelle il se moque d'un gradé ce qui lui vaut 60 jours de prison. Après sa démobilisation, il exerce tous les métiers : garçon de course, vendeur de savonnette à la sauvette, représentant, homme sandwich, chauffeur de taxi... Enfin en 1923 il trouve, par hasard, un pygmalion en la personne de Toziny qui le baptise "Pierre Dac" et le fait monter sur la scène de son cabaret "La vache enragée". C’est un triomphe ! Et pendant 10 ans Pierre Dac va passer sa vie sur les scènes de cabarets et de music-halls, Il pousse la chansonnette avec Raymond Souplez, Gabriello et Roméo Carlés. Il anime aussi une course au trésor sur les ondes du Poste Parisien : il demande qu'on lui apporte des objets aussi loufoques qu'imaginaires : une lentille cuite, une dragée blanche entourée de 10 km de ruban noir... Cette course délirante est un énorme succès.
Ce bavard répète à 1’envi que "parler pour ne rien dire ou ne rien dire pour parler, sont les deux principes majeurs de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l'ouvrir". Cela ne l’empêchera pas de clamer des vérités à son entourage telle que "celui qui dans la vie est parti de zéro pour n'arriver à rien, n'a de merci à dire à personne". Cet ingénieux inventeur du Schmilblick, l’objet qui sert à tout et à rien, délire sur les ondes. Il va souler les auditeurs d’une ronde folle de mots qui se mordent la queue, enfilés à un rythme effréné, qui ne laissent pas le temps à l’esprit de respirer.
En 1938 Pierre Dac crée un journal : L'Os à moelle dont les petites annonces font fureur. Emanation de la SDL, la société des Loufoques, créée sur les ondes, ce journal est à la mode chez les jeunes. Des Clubs de loufoques se créent partout. Pierre Dac compose même un ministère loufoque dans lequel, modeste, il ne s'octroie qu'un petit porte-monnaie. Le journal et l'émission de radio font fureur. Soutien moral des troupes françaises, l'Os à moelle se saborde en 1940. Recherché par la Gestapo, il s'enfuit avec sa compagne, la comédienne Dinah, et trouve refuge à Toulouse. Il y monte un spectacle et part en tournée dans la zone libre. Mais son obsession est de rejoindre le Général de Gaulle en Angleterre. Et plusieurs tentatives lui valent de goûter aux geôles françaises et espagnoles. Pierre Dac se retrouve enfin à Londres, en Octobre 1943. Il intègre l'équipe radiophonique de la fameuse émission de la BBC, des "Français parlent aux français". Mettant les rieurs du côté des Alliés, son retour sur les ondes fait sensation en France. Les français reconnaissent cette voix si caractéristique : monocorde, grave et imperturbable et son humour. Il lance sur les ondes son célèbre couplet : " Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ", sur l'air de la cucaracha. Il fustige l'occupant allemand et ses serviteurs et ridiculise la propagande des " nazillards " dont Philippe Henriot, secrétaire d'Etat à l'Information du gouvernement de Vichy. Les anglais le surnomment " the king of lunatics ". Pierre Dac réunit ses souvenirs anglais dans un livre : "Un français libre à Londres en guerre". On y trouve une foule d'anecdotes concernant les français de Londres : Maurice Schumann, le colonel Rémy, Jean Nohain... et le Général de Gaulle.
Son retour à Paris est difficile. A plus de 50 ans, il doit recommencer à zéro. Après une rentrée triomphale à l'ABC, sa vie professionnelle connaît des hauts et des bas. Le N°1 de l'Os libre, son nouveau journal, paraît le 11 Octobre 1945, avec comme slogan : " pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour ". Mais l'esprit de l'Os n'est plus le même et n'attire plus les lecteurs. Il doit suspendre sa diffusion. Après un passage à vide, marqué par les horreurs de la guerre, il remet en question son humour " sans fiel, sans méchanceté, sans parti pris politique ". Il refait de la radio avec son compère Francis Blanche et c'est le succès des 1034 épisodes de " Signé Furax ". Il écrit les " Dialogues en forme de tringle ", " Pédicures des âmes " que son éditeur présente au Goncourt sans succès, " le gruyère qui tue ", " Le boudin sacré ", ses " Pensées "... Perfectionniste, il reprend régulièrement ses sketches, poèmes et pensées pour les peaufiner avec la rigueur et l'amour d'un orfèvre. Mais sous son masque loufoque, ce petit bonhomme est un clown triste. Dépressif, il fait plusieurs tentatives de suicide. Il est sauvé par sa femme, Dinah, qu'il a épousée en secondes noces, à son retour de Londres, et par l'attachement de ses amis. Il finit par guérir et reprend le fil de son délire verbal. L'Os à moelle ressort et achève sa carrière en 1965. Cet " enfant romantique que la vie émerveille ", comme il aime à se définir, est d'une verve infatigable et multiplie ses activités. Sur pression Elyséenne il renonce à se présenter comme candidat de l'absurde à la Présidence de la République. Il se rend à l'invitation de diverses écoles dont Polytechnique où il donne une conférence sur le " Biglotron " qui ne servant à rien, peut donc servir à tout. Il crée un mouvement littéraire : le surrénalisme et soutient une thèse sur " le slip à pont-levis depuis Henri III jusqu'à vendredi prochain ". A 70 ans et plus il joue des pièces de théâtre et tient des rôles dans des films, écrit des scenari, fait du cabaret. Cependant, un certain 9 Février 1975, à 82 ans, la tête pleine de projets, la célèbre face lunaire, avec son éternelle cigarette collée au coin des lèvres, s'éteint.
Pierre Dac n'aura survécu que 8 mois à Francis Blanche, son complice dans l'absurde. Et lors de l'enterrement du petit homme, le " maître soixante-trois ", Fernand Rauzéna, " son compagnon de galène ", qui ne peut croire à sa disparition, dit: " ... il ne peut nous avoir fait ça ! Je suis sûr qu'il va surgir comme un diable de cette boite ! "
(1) Extrait du livre de Jacques Pessis : ''Pierre Dac, mon maître soixante-trois"
aux éditions François Bourin.
Le Schmilblick
"C'est dans la nuit de 21 Novembre au 18 Juillet de la même année que les frères Fauderche ont jeté les bases de cet extraordinaire appareil dont la conception révolutionnaire bouleverse de fond en comble toutes les lois communément admises tant dans le domaine de la physique thermonucléaire que dans celui de la gynécologie dans l'espace... Le Schmilblick des frères Fauderche est rigoureusement intégral, en ce sens qu'il peut à la fois servir de Schmilblick d'intérieur, grâce à la taille réduite de ses gorgomoches, et de Schmilblick de campagne grâce à sa mostoblase et à ses deux glotosifres qui lui permettent d'urnapouiller les istioplocks même par les plus basses températures..." Pierre Dac
Extrait du Petit Catalaunien Illustré N°3
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• 13/09/2008 - Dac Châlonnais ?