Un mot peut en cacher un autre…
Saute paillasse !
Ou comment un coquin et une coquine bernèrent un pauvre mari
dans une couverture pour le trousser
Non, il ne s’agissait pas du salon que la belle et intelligente Juliette Récamier aurait pu tenir à Châlons, exilée alors en province par Napoléon 1er « pour mauvais esprit dans les sociétés »*. Si cela avait été le cas, on aurait pu y rencontrer René de Chateaubriand, Mme de Staël, Prosper Mérimée, Benjamin Constant, Eugène Delacroix, Alfred de Musset, Stendhal, Victor Hugo, Sainte-Beuve… Il ne s’agissait que d’un salon que fréquentaient les bourgeois châlonnais, car c’était là où il fallait paraître pour « exister ». Il y avait dans ce salon des demoiselles sagement assises, entourées de leurs mères, des messieurs bien usagés, même si certains avaient un langage de velours qui heurtait les oreilles, fumant un gendarme en tranchant du bel esprit. Ces dames les regardaient à la dérobée derrière leur éventail et échangeaient quelques lardons à l’encontre de l’un ou de l’autre. Entre elles, même les plus sempiternelles, les sanglaient, bêchaient et leur destinaient des paquets. Et finalement elles disaient, tout en pensant le contraire, qu’aucun ne leur chaussait. Elles les accoutraient : celui-ci était une perruque à l’esprit tardif, celui-là un vieux peinard, cet autre avec son crachat, était un patineur. Soit ils fripaient soit ils étaient cancres, taquins, voire même crasseux. Les uns étaient trop truculents ou bien amphibies, les autres baroques ou encore trompettes. Un de ces hommes était dans son tripot, c’était un chandelier dont toutes avaient connaissance, sauf les demoiselles bien sûr, et dont certaine, celle qui portait un carcan, se servait. Tout le monde le savait, sauf son benêt de mari auquel elle avait raconté des canards. Lui, sans grande visière, avait tout cru et le surveillait de près. Par contre, il tenait en grande estime un garçon spécieux, brave mais pas très soutif, qui courtisait son épouse. Il est vrai que celui-ci excellait dans l’art de niveler. D’ailleurs le mari invitait tous les mardis l’amant croyant qu’il était son meilleur ami et pensait pis que pendre de celui qu’il soupçonnait. Son « ami » acceptait la semonce de l’habituel ambigu. Ce jour-là, la dame en question fricassait toute la matinée avec les fournisseurs pour acheter des oripeaux, s’ajustait, se tapait les cheveux puis piaffait bien imprudemment pendant le dîner. Crevé, le pauvre homme ne pouvait pratiquement plus se déplacer. C’était peu de dire qu’il n’était pas près d’être lascif !
Un soir, il demanda à son invité d’avaler les bouteilles à la cave car il n’avait pas confiance en ses domestiques. Il lui donna la clé. Elle descendit avec le coteau pour lui prêter main forte. Celui-ci était tout pétillant de la retrouver et la patina dès qu’ils furent dans la cave. Aucune lanterne ne permettait au mari, qui d’ailleurs ne se doutait de rien, de les surveiller. Ils n’avaient aucune vedette mais ne craignaient rien d’un tel violon. Demain comme un carabin, il la retrouverait dans leur vide-bouteille mais à cet instant-là, ils ne voulaient pas saler leurs baisers et en profitaient. Ils n’auraient pas besoin d’un pénitencier et ne risquaient pas d’être branchés ! Ils finirent par remonter et le mari, qui ne connaissait pas son atout, habillé d’un pet-en-l’air, s’alluma alors dans son fauteuil et distribua les fougères. Puis saisissant un grand couteau...
La suite dans le Petit Catalaunien Illustré N°54 printemps 2006
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Mots extraits de l'ouvrage "Saute paillasse ! les sens cachés des mots de la langue française" d’Alain Duchesne et Thierry Leguay, ed. Larousse
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